Témoignage : Vivre avec une mère alcoolique

On peut dire que j’ai eu une enfance heureuse, j’ai grandi comme fille unique au sein d’une famille très aimante, à l’aise sur le plan matériel, je n’ai jamais manqué de rien !

D’un tempérament enjoué et positif, il est vrai que j’ai tendance à garder en souvenir les bons moments partagés avec les miens. Et pourtant… Tout n’était pas rose à la maison…

J’avais 6 ans lorsque je me suis rendue compte que ma maman avait un « problème ». Le soir, je ne la reconnaissais plus et je ne comprenais pas ce qui se passait.

Malgré mes questions, le silence des adultes ne m’aidait pas à mettre du sens sur cette situation. Il a fallu que je mène une véritable enquête pour découvrir que c’était l’alcool qui provoquait cet état modifié de conscience.

 

Jusqu’à l’âge de 11 ans, j’ai tout fait pour sauver ma maman : j’endossais le rôle d’une « apprentie-psychologue ». Chaque soir, auprès de mon parent alcoolique ; j’essayais de la « coacher », d’apporter des pistes de solution concrètes pour apaiser son mal-être.

Cela m’a permis de développer une maturité précoce, un discernement forgeant mon caractère. Même si cela n’était pas mon rôle d’enfant, cela m’a grandement aidée au cours de ma vie.

À 12 ans, j’ai lu à l’école « l’étrange cas du Dr Jekyll et Mister Hyde » de R.L.Stevenson. Ce livre a été d’une importance capitale !

Cette lecture faisait partie du programme scolaire, je me souviens encore de la couverture du livre. Elle représentait le visage d’un homme coupé en deux : d’un côté l’humanité de Dr Jekyll et de l’autre le côté obscur, mortifère de Mr Hyde. J’ai dévoré ce livre tant il résonnait en moi. Le concept de ces deux identités qui coexistent chez un même individu, cela m’était familier. La face « normale » la journée et la face « cachée, morbide » le soir. Dès lors, j’ai baptisé ma mère ivre : Mister Hyde !

 Comment tisser une véritable relation avec mon parent qui s’autodétruit?

Au début de l’adolescence, j’ai compris que ma maman ne pourrait pas admettre sa maladie à cause du déni, et qu’elle ne se ferait pas soigner. J’ai écouté la petite voix dans mon ventre : mon intuition, l’aide la plus importante qui soit, selon moi ! Elle m’invitait à me préserver… J’ai donc lâché prise, en quelque sorte, et me suis résolue à laisser ma mère s’enfoncer dans ses sombres tourments, pendant que, de mon côté, je choisissais la vie.

Dans ce contexte familial, j’ai su que j’allais m’orienter vers un métier du soin.

Comment parvenir à la considérer comme une personne souffrant d’alcoolisme et non comme le bourreau qui massacre complètement l’équilibre familial?

À 20 ans, durant ma formation de psychomotricienne, l’étude approfondie de l’addiction, des dépendances et des pathologies psychiatriques m’ont aidé à prendre du recul, à analyser la situation de ma mère d’un point de vue médical. Je ne la considérais plus comme une femme négative et faible, mais comme une victime d’une maladie insidieuse… Mon regard a changé sur elle.

À 26 ans, j’ai eu mon premier enfant… Mon intuition m’a encouragée une nouvelle fois à changer d’environnement. J’ai établi plusieurs centaines de kilomètres de distance entre ma mère et moi, car je ne voulais pas que ma fille subisse elle aussi l’atmosphère toxique liée à son alcoolisme.

« Moins se voir pour mieux se retrouver » est devenu ma devise. La distance apaise les mœurs.

À 30 ans, tout le traumatisme lié à mon enfance est remonté à la surface. J’ai connu un effondrement interne, que je nomme « Reset ». Dès lors, j’ai senti le besoin d’entamer un travail d’introspection, soutenue par une psychologue : mettre des mots sur mon mal-être d’enfant, d’adolescente et de jeune adulte me semblait indispensable pour pouvoir m’en sortir. Progressivement, je me suis ouverte à l’univers de la spiritualité (pratique du yoga, méditation, étude de la philosophie taoïste). Libérée en partie, du poids de mes souffrances passées, j’ai pu cheminer vers l’épanouissement.

À 32 ans, ma mère a écopé d’un nouveau statut : celui d’aidante auprès de mon père en phase terminale du cancer. La négligence ; maltraitance dont elle a fait preuve auprès de lui lorsqu’elle était ivre… m’a traumatisée. C’est là que je me suis tournée vers l’écriture, une thérapie aux vertus formidables.

À 33 ans, j’ai perdu mon papa et j’ai dû me résoudre à contraindre ma mère à se faire suivre par différents spécialistes. Aujourd’hui, son déni a « sauté » et elle découvre les épisodes de mon podcast « S.O.S d’un ventre qui vivait parmi les autruches ». Elle semble dit-elle quitter progressivement « le principe de plaisir pour aller vers le principe de réalité ». C’est une bonne métaphore pour expliquer le déni ; pendant des décennies, lorsque ma mère buvait en cachette pour assouvir son besoin et ressentir ce plaisir intense généré par l’alcool, son cerveau ne semblait pas être en mesure de lui donner à voir la gravité de sa situation ni faire preuve de discernement. À aucun moment, ma mère ne s’est considérée comme « addict », encore moins comme « malade ». 

Aujourd’hui, lorsqu’elle voit les conséquences que l’alcool a sur son foie, elle est abasourdie: « Jamais je n’aurais pensé avoir un jour un problème de santé lié à l’alcool. Dès que je buvais, la substance disparaissait dans mon corps, c’était comme si ça n’existait pas ! »

À travers mon podcast, je donne la parole à mes émotions, mes tripes, mon ventre… Celui de la petite Charlotte, l’adolescente, l’adulescente, l’adulte et la maman…à toutes ces parties de moi qui ont brusquement ressenti le besoin de s’exprimer et de se faire entendre…

Je souhaite à présent faire la lumière sur l’envers du décor de la famille modèle, régie sous la politique de l’autruche face à l’alcoolisme de ma maman… Mettre des mots sur ces ambiances lourdes et déstabilisantes, vécues à huis clos. Aborder les différentes facettes que peut revêtir le déni et illustrer son indéfectible puissance… Décortiquer toutes les vagues de sentiments qui ont assailli mon ventre au fil des années, depuis ma plus tendre enfance jusqu’à aujourd’hui :

  • La peur face à Mister Hyde (le côté obscur de ma mère)…
  • La tristesse et le chagrin de voir ma maman si mal dans sa peau…
  • La colère et la révolte vis-à-vis de tous ces adultes qui demeurent passifs malgré mes nombreux S.O.S…
  • Le désespoir devant mon incapacité à sauver ma maman…
  • Le côté tortueux de l’ambivalence…
  • L’amour inconditionnel VS la haine face à cette maman mollassonne qui refuse d’admettre son problème et de se faire soigner

 

Cheminer, encore et toujours, en quête de la paix intérieure…

 

Être fille d’alcoolique a été synonyme pour moi de développement précoce de ma maturité pour pouvoir faire face aux aléas du quotidien ; de difficultés rencontrées pour se construire avec ce modèle parental instable ; de responsabilité face à ce parent vulnérable quand la maladie dégénère… et de solitude.

Aujourd’hui, je veux briser la chaine du silence et sortir de cette spirale familiale infernale pour préserver la nouvelle génération à venir, à savoir mes enfants !

Je verbalise tout haut ce que j’ai longtemps ruminé tout bas.

Et je me demande encore comment sauver ma peau sans pour autant abandonner mon parent ?

 

Charlotte You

Un commentaire sur “Témoignage : Vivre avec une mère alcoolique

Commentaires désactivés